La botanique et l'horrifique


Les plantes dans les Survivals Horrors


L'élément botanique est très souvent exploité dans les jeux vidéos. Loin d'être un point de détail, les plantes curatives et autres herbes magiques sont souvent des éléments essentiels dans la progression du jeu vidéo. À la fois, item de quête, objectif à atteindre, ennemi à abattre, objet à récupérer, la plante revêt différents rôles et statuts selon les jeux vidéos. Il suffit de se pencher un peu sur la question pour se rendre compte que la botanique est un motif très sollicité, et ce, dans des types de jeux très variés (du Point 'n click au RPG en passant par le jeu d'action ou d'espionnage). Dans le présent article, je vais m'intéresser plus particulièrement à l'utilisation des plantes dans les Survival Horror, qui connaît de plus en plus de développements depuis la saga Resident Evil et son triptyque de plantes (je n'y reviendrais pas car cela mériterait un article à lui seul).


La plante : un usage varié au sein d'un même jeu

Dans Koudelka, jeu sorti en 2000 sur PS1, la jeune Koudelka, appelée par un fantôme, devra arpenter les méandres du monastère Nemeton. Baigné dans une ambiance toute gothique, ce monastère recèle d'objets en tout genre que le joueur devra trouver. Il sera possible notamment de trouver trois sortes de végétaux. La panacée qui guérit de toutes les altérations du statut pendant les combats (poison, paralysie, silence), mais aussi une herbe "antidote" soignant l'empoisonnement. La première panacée récupérée dans le monastère, est matérialisée dans l'espace du jeu. L'herbe est rendue visible au joueur, par sa couleur verte. Néanmoins, il en va tout autrement de l'antidote. Dans les souterrains, il est possible de récupérer l'herbe anti-poison (avec des balles) dans un amoncellement d'ossements. Comme elle n'est pas matérialisée dans cet espace, il est aisé pour le joueur de l'oublier dans sa progression.

Il est intéressant de constater, que les herbes ne portent pas de nom spécifique (j'entends un nom réaliste), mais plutôt un nom évoquant l'action thérapeutique, la panacée qui soigne tout, l'antidote contre le poison. L'herbe une fois saisie, est présentée graphiquement au joueur sur un fond uni, afin d'indiquer que l'item de soin passe dans l'inventaire des objets. Le design de la plante sur cet arrêt sur image, montre un graphisme soigné. Les feuilles des deux plantes étant élaborées et s'inspirant du réel. Alors que la panacée présente une couleur vert-gris (typique ce certaines armoises), l'herbe antidote, présente des feuillage d'un vert plus lumineux.

Enfin le troisième végétal, pouvant être trouvé par le joueur, utilisé pour ses vertus curatives, sont les "Roman nuts". Ces noix romaines, est l'item de soin ultime puisqu'il permet de récupérer la totalité de ses points de vie (HP) et de ses points de magie (MP). En plus, de cela, son utilisation permet de "réveiller" un allié inconscient (s'étant fait battre pendant un combat). Cet item végétal est tellement pratique qu'il est conseillé dans les astuces de le garder pour le combat final, au vu de la dureté du boss.

          

Mais le végétal dans Koudelka, n'est pas seulement exploité que pour son côté bénéfique. Il est aussi utilisé comme élément de monstruosité. Lorsque Koudelka et son comparse Edward, se rendent dans le jardin des plantes (Herb garden dans la version en anglais) du manoir, ils devront affronter un boss intermédiaire végétal. Une plante hybride et animée ayant pour nom "Evil Plant". Cette plante monstrueuse possède 1000 points de vie. Sa faiblesse étant le feu (ce qui n'est guère étonnant pour une plante), le joueur devra donc utiliser la magie de cet élément pour la combattre.

Ce « monstroplante » possède des lianes qui lui permettent d'attaquer. Ce boss bien entendu, n'est pas sans rappeler la plante 42 de Resident Evil... La figure du végétal comme ennemi va réapparaître dans Koudelka, à la fin du jeu. Il s'agit cette fois-ci d'une plante, envahissant l'intégralité de l'église. Tandis qu'aux étages inférieurs, des racines épineuses, malmènent le joueur, au sommet se trouve une fleur aux pétales roses. Ce bourgeon, à l'approche de Koudelka se met à vibrer et à voir ses "pulsations" accélérer. Il se trouve que ce bourgeon est en réalité le réceptacle du boss final, la dénommée Elaine (fiancée de James O'Flaherty, l'un des membres de votre équipe). Elaine sort donc de la fleur et se met à attaquer Koudelka et ses acolytes lorsqu'ils sont suffisamment à proximité.

   

La plante est donc utilisée dans le jeu Koudelka, à la fois comme item thérapeutique, mais aussi comme constituant organique des adversaires. Nous allons maintenant voir un autre jeu, où le végétal est utilisé avec un but bien différent.


La plante comme objet apotropaïque et défensif

Silent Hill, que l'on ne présente plus, utilise la plante dans son aspect le plus occulte. L'exemple n'apparaît qu'une fois, dans le tout premier volet. Il sera possible pour le joueur incarnant le personnage de Harry Mason, de récupérer dans l'hôpital de la ville, un flacon rempli d'aglaophotis. Mais quelle est donc cette substance ?

Cette substance serait en fait issue de la plante du même nom : l'aglaophotis (du grec aglaos : brillante et de phos : lumière). L'un des premiers auteurs à en avoir parlé fut Claudius Aelianus (dit Elien) dans son ouvrage sur la nature des animaux (De natura animalium). Il disait que cette plante brillait la nuit comme une étoile ("nocte vero stellae instar lucens et igneo splendore coruscans" dans le texte original en latin). Le botaniste de l'Antiquité, Dioscoride, écrivait que l’Aglaophotis serait une pivoine. Pour Théophraste, autre botaniste ancien, l’aglaophotis devait être déterrée la nuit, ce qui l'assimile à la mandragore. Pour Démocrite cette plante a reçu l’admiration des hommes pour sa beauté de sa couleur et croit sur les marbres d’Arabie d’où son autre nom Marmaritès. À la Renaissance, le botaniste Rembert Dodoens, écrit comme Dioscoride, qu'il pourrait s'agir de la pivoine.

Après ces considérations historiques, revenons au jeu. Quelle est l'utilité de cette substance végétale dans Silent Hill ? Dans le premier opus, c'est un produit puissant mais très rare, qui permet de chasser les démons. Conservé sous la forme d'un liquide rouge, il est lancé par Kaufmann sur Alessa dans Silent Hill 1 (avec la fin Good ou Good +) afin de combattre le démon final, l'incubator.

Cette fiole d'aglaophotis, peut être utilisée auparavant par Harry Mason, pour sauver la policière Cybil Bennett d'une possession démoniaque.

          

Il sera fait mention de l'aglaophotis, plus tard, dans le troisième volet de Silent Hill. Heather, la jeune héroïne, s'est vue confiée, par son père, un pendentif contenant un cristal rouge sang, se trouvant être en fait une capsule d'aglaophotis. Lors d'une rencontre avec Claudia Wolf, une religieuse fanatique, elle avalera le médaillon, ce qui lui fera vomir le démon qui était en elle. Dans ce même opus, il est possible de lire un mémo nous en apprenant davantage sur la mystérieuse aglaophotis..

      

Une autre plante, parallèlement, apparaît dans l'histoire de Silent Hill. Il s'agit de la "White Claudia". Deux notes en font mention dans le premier Silent Hill. Une annonce dans le bureau de police, signale qu'une drogue élaborée à partir de la White Claudia est vendue illégalement par des trafiquants dans certains quartiers de la ville. La deuxième occurrence se trouve à l'hôpital Alchemilla (dans le bureau du Dr. Kaufmann), où l'on peut lire une description botanique de la plante. L'ouvrage spécialisé précise que la "White Claudia" est une plante vivace croissant près des eaux. Elle peut atteindre une hauteur de 25-38 centimètres. La plante possède des feuilles ainsi que des fleurs blanches.

La "Claudia blanche" est donc une plante indigène à Silent Hill. Elle est utilisée pour créer la drogue hallucinogène appelée PTV. Selon la brigade narcotique de la ville, cette drogue serait revendue aux touristes, et serait la cause de puissantes hallucinations. La plante locale et ses vertus stupéfiantes auraient été découverte par Dahlia Gillespie. Cette drogue permit à la secte fanatique de la ville de financer ses activités. Dahlia Gillespie en aurait proposé au docteur Michael Kaufmann qui à son tour aurait rendu dépendante l'infirmière Lisa Garland à cette substance afin  qu'elle s'occupe d'Alessa Gillespie. Cybil Bennett, agent de police, pense que Dahlia est sous l'emprise de la drogue, et c'est pour cette raison qu'elle croit que la ville est envahie par les ténèbres. Elle avoue à Harry dans le magasin d'antiquités qu'un trafic de drogue (la substance psychotrope végétale) se trame dans la ville mais que rien n'a pu être tiré au clair.

   

Les références aux plantes sont majoritaires dans le premier volet de Silent Hill. C'est dans le deuxième volet que la figure de l'arbre va émerger et prendre sa place dans la trame horrifique. En effet dans Silent Hill 2, précisément dans le scénario bonus "Né de l'imaginaire", il sera possible pour le joueur incarnant Maria, de trouver dans le salon située au 2e étage du manoir Baldwin, un livre traitant des plantes. Il s'agit d'une encyclopédie botanique où les vertus de l'acacia sont louées. Voici ce que l'on peut y lire :

"Arbre à feuilles persistantes aussi connu sous le nom de mimosa, de la famille des papilionacées. Ses petites fleurs jaunes ou blanches poussent en rameaux. Le gommier est une des variétés courantes. L'acacia est un symbole puissant dans de nombreuses religions. Pour les chrétiens, il représente vie éternelle et moralité. Dans l’Égypte antique, il représentait la pureté et la renaissance tandis qu'à Babylone, il était considéré comme l'arbre de la déesse Ishtar et un symbole de vie. Sacré aussi pour les juifs, ils s'en sont servi pour construire l'Arche du Convenant, il signifie mort paisible et libération du chagrin."


L’acacia est un symbole très important dans ce scénario puisqu'il faudra récupérer une "clé acacia" en résolvant une énigme sur la tombe d'Amy Baldwin, jeune fille morte à l'aube de ses sept ans. Mais pourquoi l'acacia est-il si important dans ce scénario ? La raison est qu'Ernest Baldwin, le propriétaire des lieux, a voulu en utiliser pour faire renaître sa fille Amy, en vain.

La botanique à mon sens est d'autant plus édifiante dans l'univers de Silent Hill, quand elle est mentionnée, tout simplement car la ville brumeuse, présente en général, une végétation désolée voire inexistante. Dans Silent Hill Homecoming, le joueur pourra admirer une végétation fade, sombre, presque "pourrie", ainsi que des arbres gigantesques, dont les racines prennent le pas sur la ville et l'architecture.

Dans Silent Hill Downpour, la seul verdure et végétation en fleur, sera issue des pensée du héros. En effet, à chaque fois que le joueur accompli une action spécifique (exemple : libérer un oiseau d'une cage), le héros a un flashback où il se trouve dans un champ de coquelicots.

      

Mission botanique et récolte de plantes

Passons maintenant de l'univers brumeux et cauchemardesque de Silent Hill à l'ambiance de western crépusculaire de Red Dead Redemption : undead nightmare. Dans ce jeu, John Marston devra combattre une flopée de zombies ayant envahi l'ouest américain. À l'image d'un Resident Evil, botanique et morts vivants vont se trouvé mêlés dans l'intrigue de ce jeu sorti en 2010 sur Xbox 360. John Marston devra à plusieurs reprises, faire la cueillette de végétaux dans l'atmosphère troublée et contaminée du désert. Lorsqu'il sera au Fort Mercer, il se verra confier une mission par le charlatan West Dickens qui se rend compte que son élixir ne repousse pas les zombies mais les attire. Dickens demandera à Marston d'aller cueillir cinq sauges du désert et trois perce-neige violets afin d'élaborer un nouveau remède..

      

Le joueur, pour accomplir cette mission botanique, devra s'aider de sa carte. Les sauges de trouvent à Gaptooth Ridges tandis que les perce-neige se situent dans la forêt de Tall Trees. Une fois la plante cueillie, il est possible d'aller dans l'inventaire afin de lire une courte description de la plante. C'est ainsi que l'on apprend que les feuilles de la sauge du désert servent à faire un thé médicinal tandis que la perce-neige sert pour renforcer la mémoire et lutter contre la douleur des nerfs.

Une fois la totalité des fleurs remise au charlatan, ce dernier donnera à Marston une solution pour renforcer ses balles. Outre cette mission ponctuelle, il sera possible pour le joueur de récolter d'autres plantes (cactus, camomille sauvage, sauge rouge...) qui lui donneront des avantages divers. Ces différents défis botaniques transforment donc le cow-boy en cueilleur pour un temps, l'assimilant à un apprenti-botaniste. Ce jeu, en plus de divertir, est une bonne occasion de s'intéresser aux plantes, puisque celles mentionnées sont issues de la réalité. Par exemple la plante appelée "Humingbird sage" (sauge des colibris) que le cow-boy peut cueillir dans les paysages plus enneigés, s'inspire de la Salvia spathacea.

   

Conclusion : la flore vidéoludique

Nous avons vu dans le présent article que la plante adopte plusieurs rôles ainsi que des fonctions très diverses d'un jeu à l'autre (à la fois adjuvant, item médiateur et intermédiaire dans une quête, remède renforçant la stamina d'un personnage, élément narratif du jeu, objet central d'une péripétie...). La flore environnante, censée être bénéfique au personnage, est souvent exploitée dans son aspect négatif dans les Survivals Horrors. Elle peut devenir un véritable obstacle comme dans Dino Crisis 2 où des plantes rampantes obstruent les passages, condamnant les portes de leurs lianes en pleine prolifération. Près du marais où se situe la base militaire, se trouvent des plantes semblables à des bulbes lâchant des spores toxiques. Ces spores peuvent tuer le personnage. Ainsi pour pouvoir progresser dans le jeu, il faudra donc se procurer un lance-flamme que l'on peut acheter sur un terminal informatique. Un rapport sur ces plantes vénéneuses peut également être récupéré dans de poste de sécurité, donnant ainsi un aspect administratif et scientifique à ces plantes envahissantes. On apprend dans ce rapport que ces bulbes toxiques ont été appelés par les scientifiques des "pp-34" et qu'ils mesurent 80 cm de diamètre. Leurs spores rendent la victime inconsciente...

   

Même si au départ, on peut penser que le végétal n'a pas sa place dans un jeu d'horreur, on remarque que l'élément botanique se joint finalement plutôt bien dans la trame de ce genre de jeu, si il est bien introduit et présenté. Si les créateurs de jeux rivalisent de créativité pour faire de la plante un élément de scénario pertinent, il peut arriver qu'elle occupe une place primordiale voire la base de l'intrigue entière comme dans ObsCure. Dans ce jeu sorti en 2004 sur PC, le College de Leafmore se trouve confronté à une invasion de créatures monstrueuses. Ces créatures sont en fait des étudiants, ayant subi une mutation après des expérimentations à base de spores d'une plante inconnue.  Nous apprenons au fil du jeu, en consultant le journal (Log Book) d'un étudiant nommé Alan Gardner, que le principal du College, Herbert Friedman est allé il y a plus de 100 ans auparavant (en 1890) en Afrique avec son frère jumeau Léonard Friedman. Durant les six mois qu'ils passèrent là-bas ils découvrirent plusieurs espèces de plantes inconnues qu'ils ramenèrent avec eux dont la Mortifilia. Cette plante sporifique a le don stopper le vieillissement mais à des effets secondaires irréversibles comme une mutation des tissus et une montée vertigineuse de l'agressivité.


L'utilisation de cette plante « préservante » explique pourquoi Herbert Friedman est toujours en vie et paraît si jeune. Néanmoins son frère a subi une grave mutation et s'est changé en plante géante (que le joueur devra battre à la fin du jeu) ce qui oblige Herbert à l'enfermer dans les sous-sols de l'établissement. Ce dernier fait subir des expériences et autres injections à des étudiants kidnappés afin de trouver le remède de son frère.

Ainsi, même si l'introduction du motif végétal dans les Survival Horror est plutôt rare (en comparaison aux RPG), les quelques exemples sont en général notables et suscitent de nombreux commentaires. Preuve que l'horreur et la botanique peuvent faire bon ménage.


Dossier réalisé par Tony Goupil